J’entre dans un sanctuaire.

J’entre dans un monastère.

J’entre dans un cercle.

J’entre dans une danse.

J’entre dans une époque de l’existence où les choses ne seront jamais plus comme avant. Je pourrais tout aussi bien dire : j’entre dans un marais, un océan, un texte, un conflit.

 

Et toi ? D’où sors-tu ?

 

Je sors d’un marasme, d’une querelle, d’un chapitre marquant de mon manuscrit. Je sors de la douche, de l’hôtel, de l’épicerie, de la guerre, je sors bafoué du conflit où tu viens d’entrer, je sors la rondelle du filet, d’un geste colérique, au comble du dépit, je crache, je vomis. Je ne parviens pas à sortir élégamment de quoi que ce soit. En ceci, j’appartiens, que je le veuille ou non, à ma civilisation.

 

 

Avez-vous déjà lu l’entrée des troupes de Napoléon dans Milan sous la plume enflammée de Stendhal? Une entrée, dans la vie, au théâtre, dans le monde, dans une ville, dans un territoire, est un événement, une ouverture temporelle, spirituelle, même si je ne fais que passer par le tourniquet pour attraper le métro. Toute entrée me destine à un pan du futur, en marque l’inauguration, toute inauguration est une cérémonie. Toute cérémonie est un sacre.

L’enfant reçoit l’hostie faisant entrer le corps du Christ en lui. Dans une autre culture, primitive ou contemporaine, toute expérience initiatique marquant la conscientisation de l’être à la vie impliquera l’entrée de quelque chose en elle ou en lui.

L’homme assure la survie de son espèce en se faisant entrer dans le corps d’une femme.

L’athlète mène son pays vers l’or en faisant entrer le ballon dans le filet.

Tout ce qui vit, coexiste, bouge, pense, participe au concept fondamental de la pénétration, lié au principe qui lui est indissociable, celui de la réception.

 

 

Transportons-nous à n’importe quelle époque de la civilisation et remarquons, pour peu que des normes élémentaires régissent les comportements humains, comment les notions d’attirance et de répulsion façonnent la culture.

Tout ce qui sort sera tabou, caché, excusé, désodorisé, exécré.

Dans cette même société qui tient le moindre éternuement comme un acte - pardonnable soit - mais quand même inélégant, voyez comme tout ce qui entre dans le corps avant d’en être éjecté est, au contraire, à la base de l’existence conviviale. On mange, on boit en société. Du simple geste de lever son verre jusqu’à la sophistication des bienséances et du savoir qui ont fait du besoin primordial de la nutrition des arts comme la gastronomie ou l’œnologie, l’idée même du plaisir s’est raffinée jusqu’à la nécessité du banquet, de la frairie, de la jouissance : tout ce qui entre est événementiel, que ce soit dans un banquet de mariage ou sur un terrain de golf où, pour être glorifiée, la balle devra le plus directement possible se loger dans son trou.

C’est pourquoi, aussi, l’épreuve de naître, qui procède d’une sortie, d’une expulsion, d’un passage d’un état de sécurité à un territoire sec et violent, qui constitue d’emblée la plus terrible menace à la vie, s’associe presque à de l’horreur.

J’ai toujours préféré y voir, en me positionnant à l’intérieur du fœtus sur le point d’accéder au monde, comme une entrée.

Pour éviter que la société, à commencer par ses parents, le traite comme un excrément.

Pour éviter que l’enfant se sente comme un aliment qui, pour s’épanouir quelque part dans ce qu’il convient déjà d’appeler la vie, devra se faire avaler.

 

 

 

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