oiseau blessé

 

pour Louise Laprade

 

 

 

 Monsieur le président du Comité de l'Inauguration officielle,

 Monsieur le trésorier du Consensus public,

 Madame la coordinatrice du Plan de réglementation,

 Monsieur le directeur de la recension des archives,

 Monsieur le conseiller aux rapports des bâtiments,

 Monsieur le rédacteur du rapport de la réunion des experts,

 Madame la présidente du Conseil permanent des adhésions,

 Monsieur le Commissaire à la Restructuration des Arts et des Loisirs,

 Monsieur le représentant du Syndicat de la construction,

 Madame la directrice du Département,

 Madame la rédactrice en chef de la revue Art Lyrique,

 Madame la secrétaire générale,

 Monsieur le secrétaire adjoint,

 Mesdames, mesdemoiselles, messieurs,

 

 Je veux d'abord vous remercier pour l'honneur que vous me faites de prononcer l'allocution d'ouverture pour l'inauguration de ce nouveau Palais de la Culture, celui-ci étant, d'après ce que nous avons tous pu voir, beaucoup plus hospitalier, confortable, pratique, et esthétiquement intéressant que l'ancien auditorium attenant au poste des pompiers juste en face de la Chambre de commerce qu'il m'avait été donné de fréquenter à l'époque où j'ai commencé me produire à ma sortie du Conservatoire.

 Notre public, qui depuis toujours fait preuve d'une loyauté indéfectible à l'art lyrique, n'a cessé de s'accroître. Et comme c'est pour lui, d'abord et avant tout, que les travaux d'agrandissement de cette prestigieuse maison ont été entrepris, c'est à lui que devraient revenir en premier lieu nos sentiments de reconnaissance. J'insiste ici pour remercier chacun des donateurs, et je leur demanderais de considérer ces remerciements comme étant personnels, chacun des donateurs, dis-je, membres supporters, mécènes, amis de l’Art, bénévoles du regroupement pour la survie de l’Opérette, qui cohabitent avec, et malgré, le courage de nos wagnériens purs et durs,  ainsi que tous ceux et celles qui ont contribué de façon anonyme aux campagnes de souscription grâce auxquelles ce nouveau bâtiment deviendra j'en suis sûre le symbole architectural de notre épanouissement vocal.

 À ce public, qui m'a encouragé dès mes débuts, alors que je n'étais encore qu'une timide finissante du Conservatoire, et qui s'est toujours tenue dignement à l'écart de toutes tractations, je veux exprimer à mon tour mon profond attachement. Il n'est pas une maison d'opéra dans le monde où je me produis sans avoir une pensée pour l'ambiance chaleureuse qui a toujours fait de mon cocon natal un véritable nid pour - j'allais dire "l'oiseau" - que je suis devenue au fil des ans. L'oiseau. Je vois monsieur le directeur artistique qui esquisse un sourire, et qui pense peut-être qu'il y a de la rancune dans l'évocation de ce terme qui n'est certes pas étranger non plus aux oreilles de son Conseil d'administration. Je m'en voudrais d'atténuer un climat de réjouissance qui sied à cette soirée de gala, et loin de moi l'idée de ressusciter de vieilles mésententes, en supposant qu'elles soient mortes. Mais mon mandat ce soir est de lire une allocution dont on s'est assuré qu'elle ne déplaira à personne, et aussi de vous chanter le Vissi D'Arte qui a consacré l'"envol" de ma carrière. Plus sérieusement, s'il est un vœu qui me tient à cœur, c'est que cette ferveur, ce climat à la fois de tendresse et de passion que j'ai connu ici dans cette communauté, reste inchangé.

 Nous vivons dans un pays riche. L'opulence de ce nouveau bâtiment le prouve. La grandeur de cette scène, l'extraordinaire efficacité des dispositifs, le raffinement de la machinerie, l'éloquence des lumières, tout cela n'en finit plus de nous couper le souffle, mais en cette période de rachat d'une époque plus difficile, où la technologie n'avait pas encore délogé le souffleur, où le béton n'avait pas encore remédié au planches qui craquent, n'oublions pas qu'il y a certaines rénovations dont l'âme d'un lieu, sa musique, l'expression de son génie, et l'artisanat qui le constitue, ont trop de fois souffert. Et ne soyons pas dupes non plus des souhaits que nous pourrions formuler, ce soir ainsi qu'ad vitam eternam, à l'effet qu'une saine réorganisation des locaux devrait forcément assainir une gestion dont le succès dépendra toujours de la bonne volonté humaine. Ici je m'adresserai plus particulièrement aux dirigeants de l'Opéra, et plus particulièrement encore au conseil d'administration qui a aimablement souhaité ma présence pour cette inauguration officielle. Le fait que ma carrière soit différente aujourd'hui de ce qu'elle était il y a vingt ans n'est sans doute pas étranger à ce choix. Et si ce n'était de l'énorme portée médiatique d'un pareil événement, je croirais volontiers que cette sollicitation tient lieu d'une autre invitation, plus cordiale, visant à réconcilier, sinon des points de vue, tout au moins les interprétations qui ont été données à une série de malentendus provoqués je dirais par l'inexpérience d'une part, et, un certain - manque d'élégance - d'autre part. J'aurais ardemment désiré m'adresser uniquement aux mélomanes et aux nombreux amateurs d'opéra sans lesquels cette fête n'aurait pas raison d'être, et à eux je répète que je vais chanter tout à l'heure le Vissi d'Arte car j'ai promis de le faire et je n'ai qu'une parole, mais monsieur le président, vous avez personnellement insisté pour que je m'adresse nommément à vos membres du Conseil, dont la compétence ne fait évidemment aucun doute, encore que vous devez comprendre que certains souvenirs sont plus inguérissables que d'autres dans la mémoire de personnes qu'on qualifiera sans doute de trop sensibles, et peut-être a-t-on raison d'opposer l'émotion à la rigueur et aux convenances, car on a vu de par le passé des situations pourtant dépourvues d'humanité se régler en vertu d'une froideur de jugement et d'un aplomb qui, cela dit, n'auraient pu masquer en aucun cas l'incompétence, oui, l'incompétence, car il y a une hiérarchie de maladresses qui dénote tantôt l'étourderie et tantôt l'imbécillité, je suis désolée d'utiliser ce mot, mais c'est le seul qui convienne quand je repense à la manière dont on a fait passer les auditions pour Tosca de 1982, certains d'entre vous étiez trop jeunes pour vous en souvenir, mais vos prédécesseurs sont dans la salle aujourd'hui, et à eux, je puis assurer que j'aurais de loin préféré qu'on engage des étrangers sans maquiller les véritables intentions du Conseil, qui de toute façon auraient pu être légitimes à condition qu'elles soient énoncées dans la transparence, mais voilà, ils ont préféré se donner bonne conscience, quitte à mentir à toute la population concernée par le secteur culturel réunissant nos deux paliers de gouvernement, absolument, vous avez menti - comment! vous n'avez pas menti! - excusez-moi monsieur - monsieur! - vous avez menti de façon ignoble, avec le cynisme qu'on vous connaît - ne m'interrompez pas s'il vous plaît - vous avez raconté des histoires à la population, et je connais peu de gens qui ne seraient pas cramoisis de honte à votre place, et par-dessus le marché vous m'avez insultée. J'ai été profondément blessée par la façon dont on m'a traitée dans cette histoire de syndicat, mais quelle importance! je n'étais qu'une "cervelle d'oiseau". Vous avez dit cela à votre conseil d'administration, n'essayez pas, des témoins m'ont rapporté vos paroles, mais je me fous des injures, ce dont je me fous moins, c'est le mépris avec lequel vous avez traité les artistes, et moi la première, dans le dossier des relations de travail à l'époque où Lavallière était ministre du Commerce et où tout le monde, sans exception, transférait des fonds de la caisse de retraite des chanteurs aux grandes fiducies dont Lavallière était trésorier, conflit d'intérêt, absolument, et à l'occasion d'un dîner pour les aînés du Bel Canto, souvenez-vous, vous avez émis des réserves sur les capacités vocales d'un baryton parce que vous saviez pertinemment qu'il avait tenté de mettre à jour des ententes que vous aviez concoctées avec un syndicat de machinistes et lorsque je suis intervenue à la défense du baryton, vous n'avez rien trouvé de mieux à dire aux gens du troisième âge que je me crispais sur mes positions de soprano alors que vous saviez très bien que nos salaires âprement négociés avec votre équipe de comptables agréés qui n'auraient même pas su lire un do en clé de sol servaient de couverture à un blanchiment d'argent dont les plus hautes instances policières cherchaient à démasquer les coupables. Évidemment, je n'étais qu'une cervelle d'oiseau, évidemment je n'étais qu'une petite chanteuse provinciale qui se prenait pour le nombril du monde, évidemment que je n'étais qu'une abrutie, mais je me fous des injures, ce dont je me fous moins, ce sont les raisons pour lesquelles vous avez préféré les services d'une attachée de presse italienne pour le lancement d'une de vos saisons à l'époque où le syndicat des Ballets s'est fusionné avec la Fédération des Ouvriers de l'Ouest,  laissez-moi parler s'il vous plaît, vous avez été odieux, je dirais même exécrable, en réalité ma bonne éducation m'empêche de dire les mots pour qualifier vos manœuvres, parce que là encore on m'a prise en otage, vous m'avez utilisée pour servir vos manigances et lorsque le critique de la Gazette a flairé l'affaire des pots-de-vin, c'est moi que vous avez envoyée comme bouc émissaire, mais pour revenir à cette attachée de presse, pourquoi l'autre ne faisait plus l'affaire, pourquoi pensez-vous? Vous n'avez jamais réellement supporté l'intégrité des gens sincères, et le peu de répit qu'il nous reste pour faire notre métier, pour le faire du mieux qu'on peut, et à quoi bon ressasser tout cela, je devrais être imperméable à la médiocrité, excusez-moi, excusez-moi de ne pas en être revenue, mais ces méchancetés d'il y a vingt ans, comment voulez-vous que je les oublie, je suis outragée voilà, c'est une femme blessée qui vous parle, qui s'endort le soir dans sa chambre d'hôtel après avoir chanté Puccini en se disant que dans sa ville natale la petitesse et la mesquinerie triomphent invariablement, et il m'arrive encore de me réveiller en sursaut la nuit, parce que lorsqu'on nous a violés artistiquement on entend des phrases pleines de sous-entendus, des arias déformées et des ouvertures d'opéra qui, loin de déboucher sur un lever de rideau,  se referment sur elles-mêmes et ne laissent présager que la noirceur éternelle d’un spectacle qui s’amende et qui s’annule. Je m'étais promis d'être obéissante, de jouer le jeu jusqu'à la fin, non pas par lâcheté mais pour prouver à des êtres cinglants qu'en dépit de leurs bassesses, je suis capable d'être encore plus cinglante qu'eux, et pour permettre à la musique, pour une fois, d'avoir le dernier mot. Dans l'extrait que nous allons entendre, il s'agit de bien écouter les paroles, car la femme qui adresse une prière à la Madone s'interroge sur la pertinence d'avoir toute sa vie vécu d'art et d'amour alors qu'elle est en réalité aux prises avec la puissance d'un être fourbe et corrompu. Puis-je avoir, s'il vous plaît, un mi bémol*?

 

 

 

 

Retour aux Conférences

 

 

 

oiseau blessé

 

pour Louise Laprade

 

 

 

 Monsieur le président du Comité de l'Inauguration officielle,

 Monsieur le trésorier du Consensus public,

 Madame la coordinatrice du Plan de réglementation,

 Monsieur le directeur de la recension des archives,

 Monsieur le conseiller aux rapports des bâtiments,

 Monsieur le rédacteur du rapport de la réunion des experts,

 Madame la présidente du Conseil permanent des adhésions,

 Monsieur le Commissaire à la Restructuration des Arts et des Loisirs,

 Monsieur le représentant du Syndicat de la construction,

 Madame la directrice du Département,

 Madame la rédactrice en chef de la revue Art Lyrique,

 Madame la secrétaire générale,

 Monsieur le secrétaire adjoint,

 Mesdames, mesdemoiselles, messieurs,

 

 Je veux d'abord vous remercier pour l'honneur que vous me faites de prononcer l'allocution d'ouverture pour l'inauguration de ce nouveau Palais de la Culture, celui-ci étant, d'après ce que nous avons tous pu voir, beaucoup plus hospitalier, confortable, pratique, et esthétiquement intéressant que l'ancien auditorium attenant au poste des pompiers juste en face de la Chambre de commerce qu'il m'avait été donné de fréquenter à l'époque où j'ai commencé me produire à ma sortie du Conservatoire.

 Notre public, qui depuis toujours fait preuve d'une loyauté indéfectible à l'art lyrique, n'a cessé de s'accroître. Et comme c'est pour lui, d'abord et avant tout, que les travaux d'agrandissement de cette prestigieuse maison ont été entrepris, c'est à lui que devraient revenir en premier lieu nos sentiments de reconnaissance. J'insiste ici pour remercier chacun des donateurs, et je leur demanderais de considérer ces remerciements comme étant personnels, chacun des donateurs, dis-je, membres supporters, mécènes, amis de l’Art, bénévoles du regroupement pour la survie de l’Opérette, qui cohabitent avec, et malgré, le courage de nos wagnériens purs et durs,  ainsi que tous ceux et celles qui ont contribué de façon anonyme aux campagnes de souscription grâce auxquelles ce nouveau bâtiment deviendra j'en suis sûre le symbole architectural de notre épanouissement vocal.

 À ce public, qui m'a encouragé dès mes débuts, alors que je n'étais encore qu'une timide finissante du Conservatoire, et qui s'est toujours tenue dignement à l'écart de toutes tractations, je veux exprimer à mon tour mon profond attachement. Il n'est pas une maison d'opéra dans le monde où je me produis sans avoir une pensée pour l'ambiance chaleureuse qui a toujours fait de mon cocon natal un véritable nid pour - j'allais dire "l'oiseau" - que je suis devenue au fil des ans. L'oiseau. Je vois monsieur le directeur artistique qui esquisse un sourire, et qui pense peut-être qu'il y a de la rancune dans l'évocation de ce terme qui n'est certes pas étranger non plus aux oreilles de son Conseil d'administration. Je m'en voudrais d'atténuer un climat de réjouissance qui sied à cette soirée de gala, et loin de moi l'idée de ressusciter de vieilles mésententes, en supposant qu'elles soient mortes. Mais mon mandat ce soir est de lire une allocution dont on s'est assuré qu'elle ne déplaira à personne, et aussi de vous chanter le Vissi D'Arte qui a consacré l'"envol" de ma carrière. Plus sérieusement, s'il est un vœu qui me tient à cœur, c'est que cette ferveur, ce climat à la fois de tendresse et de passion que j'ai connu ici dans cette communauté, reste inchangé.

 Nous vivons dans un pays riche. L'opulence de ce nouveau bâtiment le prouve. La grandeur de cette scène, l'extraordinaire efficacité des dispositifs, le raffinement de la machinerie, l'éloquence des lumières, tout cela n'en finit plus de nous couper le souffle, mais en cette période de rachat d'une époque plus difficile, où la technologie n'avait pas encore délogé le souffleur, où le béton n'avait pas encore remédié au planches qui craquent, n'oublions pas qu'il y a certaines rénovations dont l'âme d'un lieu, sa musique, l'expression de son génie, et l'artisanat qui le constitue, ont trop de fois souffert. Et ne soyons pas dupes non plus des souhaits que nous pourrions formuler, ce soir ainsi qu'ad vitam eternam, à l'effet qu'une saine réorganisation des locaux devrait forcément assainir une gestion dont le succès dépendra toujours de la bonne volonté humaine. Ici je m'adresserai plus particulièrement aux dirigeants de l'Opéra, et plus particulièrement encore au conseil d'administration qui a aimablement souhaité ma présence pour cette inauguration officielle. Le fait que ma carrière soit différente aujourd'hui de ce qu'elle était il y a vingt ans n'est sans doute pas étranger à ce choix. Et si ce n'était de l'énorme portée médiatique d'un pareil événement, je croirais volontiers que cette sollicitation tient lieu d'une autre invitation, plus cordiale, visant à réconcilier, sinon des points de vue, tout au moins les interprétations qui ont été données à une série de malentendus provoqués je dirais par l'inexpérience d'une part, et, un certain - manque d'élégance - d'autre part. J'aurais ardemment désiré m'adresser uniquement aux mélomanes et aux nombreux amateurs d'opéra sans lesquels cette fête n'aurait pas raison d'être, et à eux je répète que je vais chanter tout à l'heure le Vissi d'Arte car j'ai promis de le faire et je n'ai qu'une parole, mais monsieur le président, vous avez personnellement insisté pour que je m'adresse nommément à vos membres du Conseil, dont la compétence ne fait évidemment aucun doute, encore que vous devez comprendre que certains souvenirs sont plus inguérissables que d'autres dans la mémoire de personnes qu'on qualifiera sans doute de trop sensibles, et peut-être a-t-on raison d'opposer l'émotion à la rigueur et aux convenances, car on a vu de par le passé des situations pourtant dépourvues d'humanité se régler en vertu d'une froideur de jugement et d'un aplomb qui, cela dit, n'auraient pu masquer en aucun cas l'incompétence, oui, l'incompétence, car il y a une hiérarchie de maladresses qui dénote tantôt l'étourderie et tantôt l'imbécillité, je suis désolée d'utiliser ce mot, mais c'est le seul qui convienne quand je repense à la manière dont on a fait passer les auditions pour Tosca de 1982, certains d'entre vous étiez trop jeunes pour vous en souvenir, mais vos prédécesseurs sont dans la salle aujourd'hui, et à eux, je puis assurer que j'aurais de loin préféré qu'on engage des étrangers sans maquiller les véritables intentions du Conseil, qui de toute façon auraient pu être légitimes à condition qu'elles soient énoncées dans la transparence, mais voilà, ils ont préféré se donner bonne conscience, quitte à mentir à toute la population concernée par le secteur culturel réunissant nos deux paliers de gouvernement, absolument, vous avez menti - comment! vous n'avez pas menti! - excusez-moi monsieur - monsieur! - vous avez menti de façon ignoble, avec le cynisme qu'on vous connaît - ne m'interrompez pas s'il vous plaît - vous avez raconté des histoires à la population, et je connais peu de gens qui ne seraient pas cramoisis de honte à votre place, et par-dessus le marché vous m'avez insultée. J'ai été profondément blessée par la façon dont on m'a traitée dans cette histoire de syndicat, mais quelle importance! je n'étais qu'une "cervelle d'oiseau". Vous avez dit cela à votre conseil d'administration, n'essayez pas, des témoins m'ont rapporté vos paroles, mais je me fous des injures, ce dont je me fous moins, c'est le mépris avec lequel vous avez traité les artistes, et moi la première, dans le dossier des relations de travail à l'époque où Lavallière était ministre du Commerce et où tout le monde, sans exception, transférait des fonds de la caisse de retraite des chanteurs aux grandes fiducies dont Lavallière était trésorier, conflit d'intérêt, absolument, et à l'occasion d'un dîner pour les aînés du Bel Canto, souvenez-vous, vous avez émis des réserves sur les capacités vocales d'un baryton parce que vous saviez pertinemment qu'il avait tenté de mettre à jour des ententes que vous aviez concoctées avec un syndicat de machinistes et lorsque je suis intervenue à la défense du baryton, vous n'avez rien trouvé de mieux à dire aux gens du troisième âge que je me crispais sur mes positions de soprano alors que vous saviez très bien que nos salaires âprement négociés avec votre équipe de comptables agréés qui n'auraient même pas su lire un do en clé de sol servaient de couverture à un blanchiment d'argent dont les plus hautes instances policières cherchaient à démasquer les coupables. Évidemment, je n'étais qu'une cervelle d'oiseau, évidemment je n'étais qu'une petite chanteuse provinciale qui se prenait pour le nombril du monde, évidemment que je n'étais qu'une abrutie, mais je me fous des injures, ce dont je me fous moins, ce sont les raisons pour lesquelles vous avez préféré les services d'une attachée de presse italienne pour le lancement d'une de vos saisons à l'époque où le syndicat des Ballets s'est fusionné avec la Fédération des Ouvriers de l'Ouest,  laissez-moi parler s'il vous plaît, vous avez été odieux, je dirais même exécrable, en réalité ma bonne éducation m'empêche de dire les mots pour qualifier vos manœuvres, parce que là encore on m'a prise en otage, vous m'avez utilisée pour servir vos manigances et lorsque le critique de la Gazette a flairé l'affaire des pots-de-vin, c'est moi que vous avez envoyée comme bouc émissaire, mais pour revenir à cette attachée de presse, pourquoi l'autre ne faisait plus l'affaire, pourquoi pensez-vous? Vous n'avez jamais réellement supporté l'intégrité des gens sincères, et le peu de répit qu'il nous reste pour faire notre métier, pour le faire du mieux qu'on peut, et à quoi bon ressasser tout cela, je devrais être imperméable à la médiocrité, excusez-moi, excusez-moi de ne pas en être revenue, mais ces méchancetés d'il y a vingt ans, comment voulez-vous que je les oublie, je suis outragée voilà, c'est une femme blessée qui vous parle, qui s'endort le soir dans sa chambre d'hôtel après avoir chanté Puccini en se disant que dans sa ville natale la petitesse et la mesquinerie triomphent invariablement, et il m'arrive encore de me réveiller en sursaut la nuit, parce que lorsqu'on nous a violés artistiquement on entend des phrases pleines de sous-entendus, des arias déformées et des ouvertures d'opéra qui, loin de déboucher sur un lever de rideau,  se referment sur elles-mêmes et ne laissent présager que la noirceur éternelle d’un spectacle qui s’amende et qui s’annule. Je m'étais promis d'être obéissante, de jouer le jeu jusqu'à la fin, non pas par lâcheté mais pour prouver à des êtres cinglants qu'en dépit de leurs bassesses, je suis capable d'être encore plus cinglante qu'eux, et pour permettre à la musique, pour une fois, d'avoir le dernier mot. Dans l'extrait que nous allons entendre, il s'agit de bien écouter les paroles, car la femme qui adresse une prière à la Madone s'interroge sur la pertinence d'avoir toute sa vie vécu d'art et d'amour alors qu'elle est en réalité aux prises avec la puissance d'un être fourbe et corrompu. Puis-je avoir, s'il vous plaît, un mi bémol*?

 

 

 

Retour aux Conférences

 

 

 

normand chaurette

 

 

 

oiseau blessé

 

pour Louise Laprade

 

 

 

 Monsieur le président du Comité de l'Inauguration officielle,

 Monsieur le trésorier du Consensus public,

 Madame la coordinatrice du Plan de réglementation,

 Monsieur le directeur de la recension des archives,

 Monsieur le conseiller aux rapports des bâtiments,

 Monsieur le rédacteur du rapport de la réunion des experts,

 Madame la présidente du Conseil permanent des adhésions,

 Monsieur le Commissaire à la Restructuration des Arts et des Loisirs,

 Monsieur le représentant du Syndicat de la construction,

 Madame la directrice du Département,

 Madame la rédactrice en chef de la revue Art Lyrique,

 Madame la secrétaire générale,

 Monsieur le secrétaire adjoint,

 Mesdames, mesdemoiselles, messieurs,

 

 Je veux d'abord vous remercier pour l'honneur que vous me faites de prononcer l'allocution d'ouverture pour l'inauguration de ce nouveau Palais de la Culture, celui-ci étant, d'après ce que nous avons tous pu voir, beaucoup plus hospitalier, confortable, pratique, et esthétiquement intéressant que l'ancien auditorium attenant au poste des pompiers juste en face de la Chambre de commerce qu'il m'avait été donné de fréquenter à l'époque où j'ai commencé me produire à ma sortie du Conservatoire.

 Notre public, qui depuis toujours fait preuve d'une loyauté indéfectible à l'art lyrique, n'a cessé de s'accroître. Et comme c'est pour lui, d'abord et avant tout, que les travaux d'agrandissement de cette prestigieuse maison ont été entrepris, c'est à lui que devraient revenir en premier lieu nos sentiments de reconnaissance. J'insiste ici pour remercier chacun des donateurs, et je leur demanderais de considérer ces remerciements comme étant personnels, chacun des donateurs, dis-je, membres supporters, mécènes, amis de l’Art, bénévoles du regroupement pour la survie de l’Opérette, qui cohabitent avec, et malgré, le courage de nos wagnériens purs et durs,  ainsi que tous ceux et celles qui ont contribué de façon anonyme aux campagnes de souscription grâce auxquelles ce nouveau bâtiment deviendra j'en suis sûre le symbole architectural de notre épanouissement vocal.

 À ce public, qui m'a encouragé dès mes débuts, alors que je n'étais encore qu'une timide finissante du Conservatoire, et qui s'est toujours tenue dignement à l'écart de toutes tractations, je veux exprimer à mon tour mon profond attachement. Il n'est pas une maison d'opéra dans le monde où je me produis sans avoir une pensée pour l'ambiance chaleureuse qui a toujours fait de mon cocon natal un véritable nid pour - j'allais dire "l'oiseau" - que je suis devenue au fil des ans. L'oiseau. Je vois monsieur le directeur artistique qui esquisse un sourire, et qui pense peut-être qu'il y a de la rancune dans l'évocation de ce terme qui n'est certes pas étranger non plus aux oreilles de son Conseil d'administration. Je m'en voudrais d'atténuer un climat de réjouissance qui sied à cette soirée de gala, et loin de moi l'idée de ressusciter de vieilles mésententes, en supposant qu'elles soient mortes. Mais mon mandat ce soir est de lire une allocution dont on s'est assuré qu'elle ne déplaira à personne, et aussi de vous chanter le Vissi D'Arte qui a consacré l'"envol" de ma carrière. Plus sérieusement, s'il est un vœu qui me tient à cœur, c'est que cette ferveur, ce climat à la fois de tendresse et de passion que j'ai connu ici dans cette communauté, reste inchangé.

 Nous vivons dans un pays riche. L'opulence de ce nouveau bâtiment le prouve. La grandeur de cette scène, l'extraordinaire efficacité des dispositifs, le raffinement de la machinerie, l'éloquence des lumières, tout cela n'en finit plus de nous couper le souffle, mais en cette période de rachat d'une époque plus difficile, où la technologie n'avait pas encore délogé le souffleur, où le béton n'avait pas encore remédié au planches qui craquent, n'oublions pas qu'il y a certaines rénovations dont l'âme d'un lieu, sa musique, l'expression de son génie, et l'artisanat qui le constitue, ont trop de fois souffert. Et ne soyons pas dupes non plus des souhaits que nous pourrions formuler, ce soir ainsi qu'ad vitam eternam, à l'effet qu'une saine réorganisation des locaux devrait forcément assainir une gestion dont le succès dépendra toujours de la bonne volonté humaine. Ici je m'adresserai plus particulièrement aux dirigeants de l'Opéra, et plus particulièrement encore au conseil d'administration qui a aimablement souhaité ma présence pour cette inauguration officielle. Le fait que ma carrière soit différente aujourd'hui de ce qu'elle était il y a vingt ans n'est sans doute pas étranger à ce choix. Et si ce n'était de l'énorme portée médiatique d'un pareil événement, je croirais volontiers que cette sollicitation tient lieu d'une autre invitation, plus cordiale, visant à réconcilier, sinon des points de vue, tout au moins les interprétations qui ont été données à une série de malentendus provoqués je dirais par l'inexpérience d'une part, et, un certain - manque d'élégance - d'autre part. J'aurais ardemment désiré m'adresser uniquement aux mélomanes et aux nombreux amateurs d'opéra sans lesquels cette fête n'aurait pas raison d'être, et à eux je répète que je vais chanter tout à l'heure le Vissi d'Arte car j'ai promis de le faire et je n'ai qu'une parole, mais monsieur le président, vous avez personnellement insisté pour que je m'adresse nommément à vos membres du Conseil, dont la compétence ne fait évidemment aucun doute, encore que vous devez comprendre que certains souvenirs sont plus inguérissables que d'autres dans la mémoire de personnes qu'on qualifiera sans doute de trop sensibles, et peut-être a-t-on raison d'opposer l'émotion à la rigueur et aux convenances, car on a vu de par le passé des situations pourtant dépourvues d'humanité se régler en vertu d'une froideur de jugement et d'un aplomb qui, cela dit, n'auraient pu masquer en aucun cas l'incompétence, oui, l'incompétence, car il y a une hiérarchie de maladresses qui dénote tantôt l'étourderie et tantôt l'imbécillité, je suis désolée d'utiliser ce mot, mais c'est le seul qui convienne quand je repense à la manière dont on a fait passer les auditions pour Tosca de 1982, certains d'entre vous étiez trop jeunes pour vous en souvenir, mais vos prédécesseurs sont dans la salle aujourd'hui, et à eux, je puis assurer que j'aurais de loin préféré qu'on engage des étrangers sans maquiller les véritables intentions du Conseil, qui de toute façon auraient pu être légitimes à condition qu'elles soient énoncées dans la transparence, mais voilà, ils ont préféré se donner bonne conscience, quitte à mentir à toute la population concernée par le secteur culturel réunissant nos deux paliers de gouvernement, absolument, vous avez menti - comment! vous n'avez pas menti! - excusez-moi monsieur - monsieur! - vous avez menti de façon ignoble, avec le cynisme qu'on vous connaît - ne m'interrompez pas s'il vous plaît - vous avez raconté des histoires à la population, et je connais peu de gens qui ne seraient pas cramoisis de honte à votre place, et par-dessus le marché vous m'avez insultée. J'ai été profondément blessée par la façon dont on m'a traitée dans cette histoire de syndicat, mais quelle importance! je n'étais qu'une "cervelle d'oiseau". Vous avez dit cela à votre conseil d'administration, n'essayez pas, des témoins m'ont rapporté vos paroles, mais je me fous des injures, ce dont je me fous moins, c'est le mépris avec lequel vous avez traité les artistes, et moi la première, dans le dossier des relations de travail à l'époque où Lavallière était ministre du Commerce et où tout le monde, sans exception, transférait des fonds de la caisse de retraite des chanteurs aux grandes fiducies dont Lavallière était trésorier, conflit d'intérêt, absolument, et à l'occasion d'un dîner pour les aînés du Bel Canto, souvenez-vous, vous avez émis des réserves sur les capacités vocales d'un baryton parce que vous saviez pertinemment qu'il avait tenté de mettre à jour des ententes que vous aviez concoctées avec un syndicat de machinistes et lorsque je suis intervenue à la défense du baryton, vous n'avez rien trouvé de mieux à dire aux gens du troisième âge que je me crispais sur mes positions de soprano alors que vous saviez très bien que nos salaires âprement négociés avec votre équipe de comptables agréés qui n'auraient même pas su lire un do en clé de sol servaient de couverture à un blanchiment d'argent dont les plus hautes instances policières cherchaient à démasquer les coupables. Évidemment, je n'étais qu'une cervelle d'oiseau, évidemment je n'étais qu'une petite chanteuse provinciale qui se prenait pour le nombril du monde, évidemment que je n'étais qu'une abrutie, mais je me fous des injures, ce dont je me fous moins, ce sont les raisons pour lesquelles vous avez préféré les services d'une attachée de presse italienne pour le lancement d'une de vos saisons à l'époque où le syndicat des Ballets s'est fusionné avec la Fédération des Ouvriers de l'Ouest,  laissez-moi parler s'il vous plaît, vous avez été odieux, je dirais même exécrable, en réalité ma bonne éducation m'empêche de dire les mots pour qualifier vos manœuvres, parce que là encore on m'a prise en otage, vous m'avez utilisée pour servir vos manigances et lorsque le critique de la Gazette a flairé l'affaire des pots-de-vin, c'est moi que vous avez envoyée comme bouc émissaire, mais pour revenir à cette attachée de presse, pourquoi l'autre ne faisait plus l'affaire, pourquoi pensez-vous? Vous n'avez jamais réellement supporté l'intégrité des gens sincères, et le peu de répit qu'il nous reste pour faire notre métier, pour le faire du mieux qu'on peut, et à quoi bon ressasser tout cela, je devrais être imperméable à la médiocrité, excusez-moi, excusez-moi de ne pas en être revenue, mais ces méchancetés d'il y a vingt ans, comment voulez-vous que je les oublie, je suis outragée voilà, c'est une femme blessée qui vous parle, qui s'endort le soir dans sa chambre d'hôtel après avoir chanté Puccini en se disant que dans sa ville natale la petitesse et la mesquinerie triomphent invariablement, et il m'arrive encore de me réveiller en sursaut la nuit, parce que lorsqu'on nous a violés artistiquement on entend des phrases pleines de sous-entendus, des arias déformées et des ouvertures d'opéra qui, loin de déboucher sur un lever de rideau,  se referment sur elles-mêmes et ne laissent présager que la noirceur éternelle d’un spectacle qui s’amende et qui s’annule. Je m'étais promis d'être obéissante, de jouer le jeu jusqu'à la fin, non pas par lâcheté mais pour prouver à des êtres cinglants qu'en dépit de leurs bassesses, je suis capable d'être encore plus cinglante qu'eux, et pour permettre à la musique, pour une fois, d'avoir le dernier mot. Dans l'extrait que nous allons entendre, il s'agit de bien écouter les paroles, car la femme qui adresse une prière à la Madone s'interroge sur la pertinence d'avoir toute sa vie vécu d'art et d'amour alors qu'elle est en réalité aux prises avec la puissance d'un être fourbe et corrompu. Puis-je avoir, s'il vous plaît, un mi bémol*?

 

 

 

 

Retour aux Conférences