normand chaurette
normand chaurette
De quelles cultures provenons-nous,
et de quelle couleur sont les barreaux de nos prisons ?
Avec nos yeux de toujours,
mais ce ne sont que ceux que nous avions quand nous sommes venus au monde,
le regard posé sur l’arbre, sur l’eau d’un lac,
sur l’asphalte ou sur l’herbe qui mène au pied d’une montagne
d’été d’automne ou d’hiver,
nous respirons l’image jamais atteinte,
mais toujours inchangée,
du premier arbre, du premier lac, du premier paysage.
Il était devant l’enfant qui a ouvert les yeux dans le berceau,
et l’enfant devenu vieux le cherche encore.
J’ai le souvenir des vitraux, des mosaïques,
d’une nappe de dentelle, immense,
écrue sur une surface d’ébène
de la couleur sombre des vins dans les carafes,
des rires d’adultes qui promettaient que la vie serait riche plus tard
des chanteurs d’opéra qu’accompagnait ma mère
des reproductions d'impressionnistes que faisait mon grand-père
il y en avait sur tous les murs, jusque dans le garage
et quand je regarde aujourd’hui les richesses devenues,
je me dis que rien ne vaut le rêve et l’anticipation.
Enfant, je n’avais qu’un rêve : vieillir.
Elles se sont déposées comme des pierres sonores
ces richesses de la vie
leur valeur dépend des jours, parfois de l’instant
certains jours je n’ai aucun imaginaire
en d’autres périodes je serais porté à recréer le monde
mais ce serait encore un monde en deçà de mes attentes
un monde mineur, toujours avorté du mien.
Heureusement que ce sont les autres qui s’en emparent !
Comme il m’arrive d’entrer dans des univers qui ne sont pas de moi.
Ils me séduisent pour des raisons que je ne saurais dire, que leurs auteurs ne pourraient même pas comprendre.
Comment aurais-je lu, interprété, reçu, ce qui s’offre à moi si je n’étais pas né dans cette culture qui fut la mienne ? Il n’y a pas beaucoup de bretelles d’accès sur l’autoroute qui part de l’enfance vers la vie. Quand une oeuvre me traverse, un roman, un film, une photographie, je voudrais tant sauter les clôtures de ma cour intérieure. J’aurais sérieusement voulu être quelqu’un d’autre. Un hôtellier, un ingénieur.
Ou ce travailleur qui passe devant chez moi, toujours à la même heure, quand il revient du travail à vélo, avec son sac à dos, sa baguette, on voit qu’il a hâte de rentrer, il n’a pas l’air de connaître l’angoisse, il fonce vers le moment présent.
Il donne l'impression d'avoir tout reçu sans rien exiger... Dieu que je l’envie !